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Marcher et penser, lire et écrire

Dernière mise à jour : il y a 4 jours


Un petit essai pour avancer

La marche nordique, c'est d'abord… de la marche. Nombreux sont les écrivains, philosophes et poètes grands marcheurs (et grands marcheurs écrivains) qui "éclairent le chemin" par leurs récits, leurs réflexions, les émotions qu'ils nous font partager. Ils inspirent le cheminement du marcheur, nordique ou non, pour peu que celui-ci se laisse porter au-delà de la dimension physique ou sportive de sa pratique. Et inversement la marche crée les conditions propices à la réflexion voire à la médiation pour qui s'y abandonne, à l'écriture pour qui en éprouve l'envie ou le besoin pour prolonger ses pas.


Certes l'intensité accrue de la marche nordique accentue les sensations et les bienfaits de la marche. L'utilisation active des bâtons renforce la prise de conscience du mouvement et rapproche le marcheur nordique de la terre et du chemin, qu'il ressent pleinement de ses quatre membres. Mais comme pour tout marcheur, sa pratique le rapproche aussi de sa destination -souvent son point de départ- de la nature, des autres... et parfois de lui-même. En cela, le marcheur nordique partage les mêmes chemins et schémas de pensée que le randonneur ou le chemineau.

Marcheurs et écrivains

Comme le rapporte Antoine de Baecque(1) dans le recueil "La philosophie de la marche" de Nicolas Truong(2) : "Si poètes et romanciers ont si souvent flâné ou randonné, c’est parce que la marche, qui favorise la méditation ou la rêverie, la divagation ou les retrouvailles avec soi-même, est une métaphore de l’écriture". " On pense en marchant ; marcher fait penser, puis, parfois, écrire, notamment sur… la marche. Ce cercle peut donner sa structure, sa forme même à l’écriture, autant que son sujet, lui offrant un tempo, une texture, une direction."

Penser en marchant

Pour le philosophe Frédéric Gros(3) " Ce n’est pas tant que marcher nous rend intelligents, mais que cela nous rend, et c’est bien plus fécond, disponibles. On n’est plus dans le recopiage, le commentaire, la réfutation mesquine, on n’est plus prisonnier de la culture ni des livres, mais rendu simplement disponible à la pensée."

Parfois aussi -et c'est agaçant- la marche met l'esprit "en boucle" comme le décrit parfaitement Jean-Paul Kaufmann(4) dans les propos recueillis par Sven Ortoli(5) dans "Marcher avec les philosophes" : "Quand je marche, des images, des impressions changeantes, des souvenirs ou des pensées me viennent, et ils prennent vite une dimension obsessionnelle. Je les ressasse sans pouvoir les développer ou les dépasser. C’est particulièrement vrai dans les marches où l’aspect physique est secondaire". Avec la marche nordique, l'aspect physique est moins secondaire, mais surtout, la concentration sur la "qualité du geste" contribue à gommer les "pensées parasites" pour revenir à des "pensées voulues"… ou pas de pensées du tout.

Par ailleurs les coaches en management ou développement personnel nous apprennent que la marche est propice à la créativité, proposant de l'intégrer à des séances de "brain-strorming". Ils n'ont rien inventé : Victor Hugo l'avait constaté : "On part, on s’arrête, on repart ; rien ne gêne, rien ne retient […] À chaque pas qu’on fait, il vous vient une idée". Pour Jean-Jacques Rousseau, bouger était une nécessité pour penser : "La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit." Tout comme Montaigne : "Mon esprit ne va, si les jambes ne l'agitent". Friedrich Nietzsche conseille d'ailleurs de "n'accorder foi à aucune pensée qui ne soit née en plein air et en prenant librement du mouvement" (Ecce Homo).

Marcher vite pour penser mieux ?

Tous les philosophes ne partagent pas les mêmes points de vue, quel que soit l'objet de leur pensée, et c'est heureux car cela nous laisse notre libre arbitre. En tant que marcheur nordique non obnubilé par la performance et la compétition mais amateur de pratiques variées, y compris "toniques", je ne peux approuver certaines affirmations du philosophe Frédéric Gros dans ses propos recueillis par Sven Ortoli dans "Marcher avec les philosophes" : "il n’y a pas de quête de performance. Dans la marche, contrairement au sport, on est dans la quête d’intensités pures qui n’ont pas de traduction quantitative. Marcher est d’une simplicité déconcertante : il s’agit de mettre un pied devant l’autre. Pour le marcheur, les résultats et les chiffres importent peu, et la compétition ne l’intéresse pas, ce qui distingue sans doute le mieux la marche du sport. Il n’y a aucun intérêt à marcher plus vite qu’un autre. Ce que l’on cherche dans la marche, c’est de trouver des émotions qui s’approfondissent d’être partagées. On marche pour ressentir le vertige de la lenteur. Si on souhaite aller vite, il ne faut pas marcher, mais rouler, glisser ou voler ! La marche est un opérateur de ralentissement : de la vie, du temps et de l’espace".

Pour le flâneur, le randonneur ou le chemineau, assurément ! Mais certainement pas pour le marcheur nordique. D'une part il ne s'agit pas de mettre simplement un pied devant l'autre mais de mettre en œuvre une technique bien spécifique qui requiert un véritable apprentissage. D'autre part l'intensité de la progression en marche nordique la différencie très nettement de la marche "traditionnelle". Comme la marche sportive, elle peut se pratiquer en compétition, avec un règlement bien précis et un objectif de podium pour les plus performants, celui de bien figurer, à son niveau, pour la plupart des compétiteurs. Mais pour la grande majorité des "nordiques", elle se pratique juste pour le plaisir, sans esprit de compétition ni objectif de performance, à un niveau d'effort toutefois supérieur à celui de la randonnée, voire à haute intensité pour qui le souhaite à l'occasion d'accélérations plus ou moins prolongées ou de montées effectuées à un rythme soutenu. Si la recherche de performance est le plus souvent absente des motivations du marcheur nordique (et des marcheuses, elles constituent la majorité des adeptes), ce n'est pas le cas de la notion de progrès, favorisé par le groupe. Le marcheur nordique est "un animal grégaire". Il se déplace souvent avec les membres de son club ou autres compagnons de marche. A ses débuts, les conseils d'un coach et le soutien d'un groupe bienveillant l'aident à acquérir les fondamentaux techniques de la pratique. Les premières sorties peuvent être difficile physiquement pour certains, leur objectif étant alors de se sentir plus à l'aise lors des suivantes. Dans les clubs proposant plusieurs niveaux, ils pourront avoir envie, dès lors qu'ils évolueront plus facilement, de passer dans le groupe de niveau supérieur. Et quand ils auront acquis une technique et une condition physique suffisantes, ils pourront même se surprendre à "se tirer la bourre" avec leurs amis à l'avant du peloton, nombre de marcheurs nordiques restant de grands enfants malgré leur âge (majoritairement les garçons, il faut le reconnaitre). Les plus "mordus" éprouveront le besoin de marcher plus vite, plus longtemps, et parfois même de se dépasser (voire se transformer) comme je le rapporte à travers l'expérience d'une marcheuse de mon club : effort, dépassement… et bienfaits de la marche nordique.

Tout cela éloigne-t-il le marcheur nordique de "la quête d’intensités pures" ? Je ne le pense pas, tout au contraire. Peut-être à cause d'une plus grande oxygénation du cerveau (encore accrue si on y associe la technique respiratoire de la marche afghane), de la sécrétion à l'effort d'endorphines –"hormones du plaisir" appréciées des sportifs d'endurance- ou encore du plaisir de ressentir pleinement les "messages" de son corps, une pratique de nature sportive offre tout au contraire des moments d'intensité pure. Intensité physique, évidemment mais aussi intellectuelle. Est-ce dû à une pratique plus tonique, il me semble que l'esprit est lui aussi plus performant. L'amplitude spécifique au geste de la marche nordique me donne aussi l'impression d'ouvrir l'esprit, dans un espace de liberté intellectuelle accru, propice à la créativité. Le rythme des bâtons donne un tempo à la pensée, leur "tchic-tchoc" sur le chemin pouvant même être un support, comme un mantra, à la méditation. Des phases plus calmes sont l'occasion d'apprécier encore plus la sensation de bien-être, dans son corps et son esprit, de vivre le moment présent plus pleinement, intensément, de faire éclore des idées.

La lecture, "moteur du marcheur pensant" et de sa plume

La pensée et l'écriture se nourrissent de la marche et aussi de la lecture. Qui pourrait écrire de façon sensée sans vécu et sans livre inspirant l'objet de sa prose ? Les textes spécifiques aux marcheurs sont d'ordre divers, comme en témoignent ceux présentés dans ce blog.

Spécifiquement pour le marcheur nordique, la lecture peut être un moyen de découvrir et perfectionner les détails d'une pratique pas aussi spontanée qu'on pourrait l'imaginer. Quelques ouvrages spécifiques apportent des informations et conseils utiles pour parfaire sa technique, dont je propose quelques exemples : Lectures pour marcher nordiques. Le seul magazine dédié à la discipline -Marche Nordique Magazine- en fait partie, qui propose des thématiques variées autour de cette passion. Très nombreux sont aussi les publications et tutoriels vidéo sur "le net". Je proposé pour ma part dans ce blog quelques informations, "Tutos" et "Tempos" audio pour accompagner le marcheur dans ses sorties.

Certains textes scientifiques peuvent intéresser ceux qui souhaitent comprendre le détail des effets physiologiques et cognitifs de l'activité physique, comme le remarquable dossier de l'INSERM Pourquoi bouger.

Le chemin est un thème central pour le marcheur. J'ai été très sensible aux écrits d'Axel Kahn(6), grand marcheur malgré des activités et responsabilités peu communes. Voir Focus sur Axel Kahn. Son dernier ouvrage "Chemins" nous parle de ceux de ses grandes marches, fils conducteurs d'une existence bien remplie, de ses chemins de vie indissociablement liés. Les récits de ses grandes diagonales à travers la France en 2013 et 2014 ("Pensées en marchant : Ma France, des Ardennes au Pays Basque" et "Entre deux mers : Marcher au bout de soi") nous parlent des territoires de la France profonde, des habitants qu'il y a rencontrés, des sensations, souvenirs et réflexions générées par ses longues marches solitaires.

La marche et ses sentiers sont de toute évidence le meilleur moyen de côtoyer au plus près les territoires, ses occupants et la nature. C'est ce que nous fait aussi partager Jaques Lacarrière(7) dans son livre "Chemin faisant", "un classique" pour les marcheurs passionnés, qui a inspiré l'intitulé de ce blog. Chemin faisant, on se laisse porter par le récit, la poésie et les pensées issues du cheminement.

La marche peut également être une forme d'évasion, voire de défi comme nous le raconte Jacques Lanzmann(8) dans "Marche et rêves" ou encore une thérapie comme dans "Les chemins noirs" de Sylvain Tesson(9) lui aussi grand marcheur fracassé par un accident : "Je suis parti boitant, je suis revenu debout", déclare-t-il dans La Philosophie de la marche. Une "marche ambitieuse" peut même être un moyen pour aider des jeunes en rupture de société à retrouver "le bon chemin" comme le rapporte David Lebreton(10)dans Marcher la vie.

Marcher est à la fois un objet et un moyen pour développer une pensée, comme l'ont fait de nombreux écrivains, philosophes, sociologues et autres penseurs. C'est ce que nous montrent les textes et propos regroupés par David Lebreton et Nicolas Truong dans son recueil "la philosophie de la marche" et aussi Sven Ortoli dans Marcher avec les philosophes.

La marche est même une source d'inspiration pour des auteurs de chansons comme Ben Mahuzé, que j'ai découvert avec bonheur récemment, accroché par le titre de son dernier album "Quand je marche" : " Faut qu'je marche, parce que j'comprends quand je marche. […] Faut qu'je marche, parce que j'avance quand je marche, parce que je rêve quand je marche"


Ces quelques références sont bien réductrices. Comment oublier, pour le normand (d'adoption) que je suis, Théodore Monod et ses inspirations de marcheur du désert (dans "Méharées", ou "Le Chercheur d'absolu" notamment) ou Gustave Flaubert (tous deux nés à Rouen) qui, encore jeune, était ouvert à la marche sans contrainte : "nous nous mimes à marcher, décidés à aller n'importe où pourvu que ce fut loin, et à rentrer n'importe quand, pourvu que ce fut tard" (Voyage en Bretagne – Par les champs et par les grèves).

Mon humble contribution.

Je ne suis ni écrivain ni philosophe ni champion de marche nordique ni prof de quoi que ce soit. Juste un passionné (un tantinet "fou furieux" pensent certainement mes proches) qui a eu une "révélation" -celle de la marche nordique- et qui est animé par la volonté de partager sa passion.

A titre tout à fait égoïste d'abord : l'écriture, le partage, les échanges sont un moyen de prolonger le plaisir quand je ne suis pas sur mes chemins ni occupé à d'autres activités.

Par volonté de promouvoir la marche nordique d'autre part, dans toutes ses dimensions. Je lui dois bien ça pour tout ce qu'elle m'apporte ! J'espère aussi faire -un peu- œuvre utile, "chemin faisant", grâce à ce blog.

Sa première ambition est de sensibiliser aux vertus de la marche nordique -à des titres multiples- à travers les articles regroupés dans la rubrique Découvrir. Les plus curieux souhaitant s'informer sur cette discipline encore trop méconnue peuvent le faire dans la rubriques


Il me parait aussi essentiel de dépasser la dimension physique de la marche, à travers les références bibliographiques présentées préalablement et aussi le partage de textes personnels plus littéraires, relatifs à la marche et aux sentiers. Je tente notamment de montrer toutes les dimensions de la pratique dans ma "Petite méditation de quadrupède". J'espère aussi partager le bonheur de moments forts vécus lors de belles marches à l'occasion de récits regroupés dans la rubrique Partager. Je me laisse même aller de temps en temps à quelques inspirations sous forme de Haïkus, une forme poétique d'origine japonaise dont la finalité est de faire passer en peu de mots une émotion -en général en relation avec la nature- que nous offre aussi la marche nordique, sur les sentiers poétiques.

Lire ou marcher, il ne faut pas choisir. Et, pourquoi pas, écrire ?

Je souhaite associer toutes celles et ceux qui auraient aussi envie de s'exprimer sur la passion commune aux lecteurs de ce blog, dans la rubrique A lire. N'hésitez pas à me transmettre votre "texte nordique" par mail à mon adresse sur la page d'accueil.

Si vous en éprouvez l'envie, il suffit de vous mettre devant une feuille blanche ou votre clavier, de préférence après une belle marche pendant laquelle vous aurez laissé libre cours à votre inspiration.



Les écrivains penseurs et marcheurs


(1)Antoine de Baecque

Historien, journaliste, enseignant., critique cinéphile. Il a notamment publié un recueil de textes choisis, "les écrivains randonneurs" -Editions Omnibus 2013-


(2) Nicolas Truong

Journaliste directeur de la section "Idées – Débats" du Monde. "La Philosophie de la marche" -Editions de l'aube 2018- regroupe une sélection de textes et d'entretiens avec différents "penseurs-marcheurs" : Antoine de Baecque, Frédéric Gros, David Le Breton, Sarah Marquis, Martine Segalen et Sylvain Tesson.


(3) Frédéric Gros

Philosophe français, professeur de pensée politique à l'Institut d'Etudes Politiques (Sciences Po) de Paris et chercheur au SEVIPOF (centre de recherches politique de Sciences Po). Auteur de" Marcher une philosophie" (Flammarion 2019).


(4) Jean-Paul Kaufmann

Journaliste et écrivain, retenu en otage au Liban pendant près de 3 ans, expérience qui l'a mené à approfondir sa réflexion sur la vie. Sa récit de voyage Courlande (Fayard 2009) constitue plusieurs quêtes dont celle de l'identité d'un pays.


(5) Swen Ortoli

Physicien et Journaliste scientifique, créateur de Science & Vie junior, conseiller et directeur des hors-série de la revue Philosophie Magazine. Dans "Marcher avec les Philosophes" (Philo Magazine 2018), il chemine avec Pascal Bruckner, Cédric Gras, Frédéric Gros, Nancy Huston, Jean-Paul Kauffmann, Alexis Lavis, David Le Breton, Michel Malherbe et Michel Serres.


(6) Axel Kahn

Généticien et chercheur, écrivain, il a été directeur de recherche à l’INSERM, Président de l'institut Cochin et de l’université Paris Descartes et depuis 2019 de la Ligue nationale contre le cancer.


(7) Jacques Lacarrière

Né en 1925, il est connu pour ses récits de voyage. Il a été fortement influencé par sa passion pour la civilisation grecque.


(8) Jacques Lanzmann

Ecrivain, scénariste, parolier, peintre abstrait et … "fou de marche" (le titre d'un de ses livres).


(9) Sylvain Tesson

Géographe, écrivain voyageur, auteur de récits de voyage et de livres de réflexion. Il est lauréat de nombreux prix littéraires dont le prix Goncourt de la nouvelle en 2009 et le prix Renaudot en 2019.


(10) David Lebreton

Anthropologue et sociologue, professeur à l'Université de Strasbourg, membre de l'Institut universitaire de France, il est spécialiste des représentations et des mises en jeu du corps humain.


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